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Alpes du Sud : "justice morte", les Barreaux dénoncent une réforme "attentatoire aux libertés individuelles"

JUSTICE / Les ordres des avocats des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence dénoncent la réforme de la justice présentée par la Garde des Sceaux. Un projet dangereux pour les droits des victimes et de la défense. Explications détaillées

 

- Alpes du Sud - 

 

Journée « justice morte » au sein des tribunaux de France, y compris dans les Alpes du Sud. Les avocats des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence ne participeront, ce 21 mars et le 30 mars prochain, à aucune audience civile, pénale, commerciale, prud’homale ou administrative. Les bâtonniers ne procèdent pas non plus à des désignations pour les gardes à vue. Une action face au refus de la Garde des Sceaux de différer la présentation au Conseil d’État ce mercredi du projet de réforme de la justice.

 

 

Des critiques violentes contre le projet de loi de programmation

Le projet de réforme de la justice a été présenté à Reims le 9 mars dernier par le Premier Ministre, Edouard Philippe, et la Garde des Sceaux Nicole Belloubet. Un texte soumis au Conseil d’État ce mercredi qui devrait passer en conseil des ministres le 18 avril. Le Conseil National des Barreaux dénonce un texte « attentatoire aux libertés individuelles et une privatisation de la justice ».

 

« Un projet présenté à la va-vite et sans concertation », Maître P. Antiq

 

Un travail avait été engagé entre les avocats et la chancellerie depuis la mi-janvier sur 153 propositions. Des réponses point par point avaient été apportées mais la profession des avocats a découvert le projet de loi en même temps que la presse, le 9 mars dernier. Un texte qui place « l’avocat en angle mort » selon les bâtonniers, un projet « présenté à la va-vite » qui n’a pas concerté les avocats. Le barreau des Hautes-Alpes qualifie cette réforme « de vision purement gestionnaire au mépris des droits fondamentaux ».

 

 

Une justice « dématérialisée et déjudiciarisée », c’est-à-dire ?

L’un des points de crispation est la « déjudiciarisation » crainte par Maître Philippe Lecoyer, bâtonnier de l’ordre des avocats des Hautes-Alpes et Maître Pascal Antiq, bâtonnier de l’ordre des avocats des Alpes de Haute-Provence.

La chancellerie envisage en effet de déjudiciariser certains contentieux comme celui des pensions alimentaires en matière de divorce. L’administration, comme la Caisse d’Allocations Familiales, pourra ainsi décider du montant de la pension selon un barème. Le projet envisage également le règlement des petits litiges par voie dématérialisée, sans audience même si une partie le demande, ainsi que la participation au service public de la justice de plateformes proposant une résolution des litiges sur le fondement d’un traitement algorithmique. Une déjudiciarisation qui privera « le citoyen de l'accès gratuit au juge ou des garanties attachées à la présence de l'Avocat », explique Maître Philippe Lecoyer.

 

Vers des Cours d’Assise coquilles vides, et des Tribunaux de Grande Instance trop pleins ?

Autre nouveauté dans cette réforme : la création d’un tribunal criminel départemental, en expérimentation tout d’abord. Une instance chargée de juger les crimes passibles de 15 et 20 ans de réclusion criminelle comme les viols, les coups mortels, les vols à main armée sans récidive. « On parle de la plus grande majorité des crimes, voire même de la totalité des crimes », réagit Pascal Antiq, le bâtonnier des Alpes de Haute-Provence. Conséquence selon lui : « la suppression des Cours d’Assise ».

L’objectif recherché dans cette création est « d’accélérer considérablement le jugement des affaires criminelles », a expliqué Nicole Belloubet. Ces crimes ne seront donc plus jugés devant une Cour d’Assises composée de trois juges professionnels (un président et deux assesseurs) et d’un jury composé de six citoyens tirés au sort.

Ces tribunaux criminels départementaux seraient eux composés de magistrats professionnels et écarteront donc les jurés. Des professionnels de la magistrature « qui seront déjà en place au sein des tribunaux », explique le bâtonnier, « la présidente du Tribunal correctionnel sera aussi présidente du tribunal départemental criminel ». Les Cours d’Assise seront donc déchargées, pour charger un peu plus les TGI « si l’on ne créé pas des postes de magistrats supplémentaires ».  

D’autant que la Chancellerie va fusionner les tribunaux d’instance et de grande instance dans les villes qui possèdent les deux, comme Gap et Digne les Bains. Des « super tribunaux » qui n’auront pas pour autant plus d’effectifs.

 

Les droits de la défense et des victimes bafouées ?

La procédure pénale sera réformée. Le projet de loi contient de nombreuses dispositions visant à simplifier la phase d’enquête, et à diminuer le recours aux informations judiciaires, qui dépassent les capacités des pôles d’instruction.

Le texte prévoit de faciliter la prolongation de la garde à vue au-delà de 24 heures et permettra que l’interrogatoire de première comparution devant le juge d’instruction se fasse par visioconférence, même sans l’accord de l’intéressé et sans disposition particulière sur les droits de la défense. La pratique des ordonnances pénales à tous les délits punis de moins de cinq ans sera augmenté, soit plus de décisions prononcées sans débat et sans l’assistance d’un avocat. Les interceptions de communications électroniques et de géolocalisation seront facilitées.

 

« Une régression des droits de la défense »

 

Une « régression des droits de la défense », pour les bâtonniers, « cela renforce les pouvoirs du parquet et de l’enquêteur au détriment des droits des citoyens et portent atteinte aux libertés individuelles », pour le bâtonnier des Hautes-Alpes.

Quant à la place des victimes, elle sera amoindrie selon les avocats. La « simplification » de la procédure mènera à « un parcours du combattant » pour les victimes, en portant notamment de trois à six mois le délai du procureur de la République pour répondre à une plainte simple, en exigeant un recours hiérarchique devant le parquet en cas de classement sans suite et autorisant le juge d’instruction à refuser la plainte avec constitution de partie civile lorsque la citation directe est possible



C. Michard