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Hautes-Alpes : CER de Tallard, entre opposition et municipalité le porteur du projet s’explique

SOCIÉTÉ / Prévu pour une implantation pour début 2017, le projet ne cesse de faire parler de lui. Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Décryptage et témoignages sur fond d’explication du porteur du projet, le Groupe SOS Jeunesse.

 

- Hautes-Alpes -

Entre opposition citoyenne et politique, l’implantation d’un Centre Éducatif Renforcé (CER) sur la commune de Tallard ne cesse en ce mois d’août d’agiter fantasme et peurs irrationnelles dans une période où la France fait face à de vives tensions post terrorisme. L’heure de faire le tour d’un projet porté par le Groupe SOS Jeunesse et de sortir des rumeurs et informations partielles.

 

Qui est le Groupe SOS Jeunesse ?

Créé en 1984, Prévention et Soin des Addictions (aujourd'hui Pôle Addictions - Groupe SOS Solidarités) est créé pour développer des dispositifs de lutte contre la toxicomanie. Un an plus tard, en 1985, Habitat et Soins (aujourd'hui Pôle Habitat Solidaire, social et accompagnement aux soins - GROUPE SOS Solidarités) voit le jour pour répondre à l'épidémie croissante du Sida. L'évolution même de la maladie et des traitements l'ont amené à diversifier ses modes de prise en charge. L'association propose notamment de nombreuses solutions d'hébergement et de logement.

En 1994, le Groupe SOS lance Insertion et Alternatives (aujourd'hui Pôle Protection de la jeunesse - Groupe SOS Jeunesse) d'abord spécialisée dans l'insertion sociale et professionnelle, qui développe aujourd'hui principalement des dispositifs dédiés aux mineurs (aide sociale à l'enfance et protection judiciaire de la jeunesse).  

Aujourd'hui, le Groupe SOS compte 405 établissements et services (jeunesse, handicap, logement social, EHPAD, hôpitaux …) et 14.000 salariés. Présent dans 12 régions et 35 pays, il est le premier opérateur national dans la gestion des CER et des Centres Éducatifs fermés (CEF).

Déjà présente dans les Hautes-Alpes, le groupe gère le foyer de vie des Guérins, à Sigoyer, où sont accueillis une quarantaine de personnes présentant un handicap mental.

 

Quel est le but de ce centre ?

À l’initiative de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), qui a publié en février 2015 un appel à repreneur du CER d'Aspres-sur-Buëch, fermé en décembre 2014, l’association Groupe SOS a été retenue pour gérer le centre.  « Un CER est une structure qui fait partie de la politique publique de l’État, et qui accueille  durant des sessions de quatre mois  et demi six à huit jeunes de 13 à 17  ans, pour recréer du lien avec les adultes et pour les remobiliser et se construire en tant que citoyen », explique Philippe Caumartin, directeur général adjoint Groupe SOS Jeunesse.

Un CER ou comment réinsérer les mineurs délinquants et leur éviter la prison. C’est l’objet du projet qui pourrait voir le jour sur Tallard, pour janvier ou février 2017, dans deux maisons du quartier des Lauzes qui sont aujourd’hui propriétés de l’APF (Association des Paralysés de France).

 

Un séjour de rupture où les jeunes retrouvent un rythme pour mieux se reconstruire

Le centre éducatif renforcé est un lieu de séjour de rupture : rupture avec la famille, avec leur lieu géographique et avec leurs habitudes de vie quotidienne, afin de leur redonner aussi un rythme de vie. « C’est la spécificité de ces structures depuis une vingtaine d’années, ce n’est pas une expérience nouvelle,  il n’y a pour les jeunes quasiment pas de retour en famille durant les sessions (…) le groupe se construit avec des adultes, des éducateurs avec l’objectif de partir sur une autre voie », nous explique Philippe Caumartin.

 

Quelles missions pour les éducateurs ?

« Le vivre avec et le faire avec, en accompagnant les jeunes et en créant une relation éducative, un rythme de vie, avec un emploi du temps extrêmement précis et des activités soutenues », explique Philippe Caumartin. « Notre principe est que l’emploi du temps soit suffisamment élaboré au sein du CET avec des activités à l’extérieur pour que le jeune ait toujours quelque chose à faire et soit encadré par des professionnels »

 

Qui décide du placement des enfants dans les centres éducatifs renforcés ?

Les jeunes sont placés par le juge des enfants. Ce sont des jeunes en rupture avec la société qui sont très souvent déjà suivis par des éducateurs en milieu ouvert et en relation la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).

 

Une prise en charge 24 heures sur 24

Les jeunes sont pris en charge 24 heures / 24 pendant 19 semaines par une équipe de deux à quatre éducateurs qui se relaient nuit et jour. Appuyés par un directeur « en astreinte permanente qui est chargé de répondre à tous les besoins que la situation nécessite mais aussi pour faire le lien avec la population. » Les adolescents disposent d'une chambre individuelle, ils ne peuvent pas y entrer quand ils le souhaitent. Des règles très précises sont mises en place dès leur entrée dans le centre. Ils n'ont pas accès à leur téléphone portable et ne peuvent communiquer avec leurs familles ou leurs proches que sous certains conditions.

 

Une pétition en ligne et la crainte d’un risque de dérapage pour les riverains

Depuis l’annonce de l’implantation du centre, une pétition a été mise en ligne par des riverains de la commune et signée par les deux conseillers départementaux (DVG) du catont Rémi Oddou et Patricia Vincent. Une pétition recueillant à cette heure plus de 2.400 signatures. Entre compréhension et message d’apaisement, Philippe Caumartin « ne balaye pas d’un revers de main » cette mobilisation et prévilégie le dialogue, déjà partagé à deux reprises entre le maire et les riverains.

« L’inquiétude est légitime et compréhensible, et nous l’intégrons dans le quotidien. Le directeur présent sur place aura aussi pour mission de répondre aux interrogations des riverains en participant à la vie de la communauté », annonce le directeur général. Rappelant que « les jeunes ne pourrons pas sortir seuls non accompagnés, et seront encadrés lors des activités extérieures par des professionnels », insiste encore le responsable de l’association. Des jeunes qui dans leur reconstruction ont « besoin de cette accompagnement éducatif qui passera par un certain nombre d’activités sociales et de solidarité mises en place en partenariat avec des associations et la commune. »

 

Une implantation qui ne peut se faire contre l’avis de la commune

Si l’avis du maire n’est que consultatif, c’est bien les services de l’État qui in fine décident ou non de l’installation d’un CER. Seule possibilité pour un maire de s’opposer, la voie juridique en lançant des procédures diverses qui pourraient bloquer ou ralentir ce type de projet. Comme par exemple s’opposer à un permis de construire. Un choix qui ressemblerait donc plus à un bras de fer qu’à un travail de concertation soutenu entre État et municipalité.

Mais l’association ne souhaite pas s’installer « n’importe où n’importe comment, surtout si une commune dit non. » Philippe Caumartin rappelle qu’après l’avis défavorable de la commune de Gap, plusieurs municipalités des Hautes-Alpes ont été sollicitées avec à l’issue « un certain nombre de réponses négatives. »

« Le maire de Tallard a accepté qu’on puisse envisager cette implantation avec une certaine bienveillance, mais aussi avec une certaine vigilance. Et nous le suivons dans ce sens, avec notamment la création d’un comité de suivi avec les riverains et la mairie, afin que les riverains soient entendus face à leurs inquiétudes. »

 

Un maire bienveillant mais vigilant

C’est en effet ce qui ressort d’un document de travail interne entre le Groupe SOS et la municipalité qui attestent des conditions dans lesquelles le maire, Jean-Michel Arnaud, accepte ce projet sur sa commune.

Que dit le document ?

L’encadrement devra être permanent par des professionnels (13 salariés : 1 directeur, 1 secrétaire, 8 éducateurs, 1 surveillant de nuit, 1 maitresse de maison et 1 psychologue), sans sortie non accompagnée.

Entre deux et quatre salariés présents auprès des jeunes jour et nuit.

Un cadre d’astreinte 24 heures / 24, qui peut répondre à toute sollicitation du voisinage.

Rythme d’activité soutenue (activité scolaire, tâches ménagères, ateliers manuels, sportifs ou culturelles…). Les mineurs disposent d’un emploi du temps précis et ont toujours quelque chose à faire.

Intervention d’intérêt général, d’utilité sociale, de solidarité avec le voisinage, des partenaires associatifs et la commune, encadrées par l’équipe.

Proximité relationnelle avec la Mairie, la gendarmerie et les magistrats.

Proximité relationnelle avec le voisinage : l’organisation de journée portes-ouvertes sera l’occasion d’échanger sur le fonctionnement de CER avec le comité de suivi.

Lien maintenu avec les parents des mineurs, les magistrats et les éducateurs de la PJJ.

Comité de pilotage (COPIL), à l’initiative de la PJJ, à l’issue de chaque session pour faire le bilan des prise en charge et du fonctionnement.

Comité de suivi mis en place avec les riverains et des représentants de la mairie pour suivi partagé.

 

Où en est le projet à ce jour ?

Une convention entre l’Association des Paralysés de France (APF), propriétaire de la maison et le Groupe SOS, pour l’occupation temporaire des locaux devrait être signée en septembre 2016. Mais selon nos informations, une procédure serait en cours, portée par un particulier, afin de faire valoir les dernières volontés de l’ancienne propriétaire de la maison qui aurait stipulé dans son testament que la propriété reviendrait exclusivement à l’APF.

Si aucune procédure ne venait à s’opposer à l’implantation, une ouverture se concrétiserait alors pour janvier ou février 2017. Enfin, un retour d’expérience se tiendra fin 2017, début 2018. Un retour d’expérience dans lequel une clause stipule que « nous pourrons dire go ou stop (…) je n’aurai pas d’état d’âme, si cela ne fonctionne pas ce sera stop », précise avec insistance Jean-Michel Arnaud.

 

Le choix « d’un père, d’un citoyen et d’un maire ». Entretien avec le maire de Tallard.

Un entretien sans enregistreur, mais stylo et papier. Le maire prend son temps pour parler, pas une habitude pour cette orateur à la verve facile derrière un micro. Il  veut peser chaque mot qu’il prononce et prend son temps pour répondre. Sr ce sujet, Jean-Michel Arnaud l’affirme, « je ne rentrerais pas dans une surenchère politico-médiatique. » Message lancé à l’opposition politique des conseillers départementaux de Tallard-Barcillonnette, Rémi Oddou et Patricia Vincent (DVG). Rappelant que sur le sujet il n’est « demandeur de rien, si l’État trouve à Lettret – commune dirigé par Rémi Oddou.Ndlr- ou ailleurs un meilleur site, j’en serai  très heureux. »  Pas de surenchère politique, mais une proposition pour les conseillers départementaux, « s’ils sont contre toute installation de CER dans les Hautes-Alpes, ils n’ont qu'à faire voter une motion dans ce sens au sein du conseil départemental. » Mais là ne se résume pas l’opposition, rappelle Rémi Oddou. « Je ne suis pas contre un CER, et je pense que dans notre canton ou dans le département d’autre propositions géographiques pourraient être envisagées. Ds le Champsaur par exemple ou si je dois parler de mon canton du côté de la commune d’Esparron, l’essentiel étant de trouver un lieu plus isolé. »

Jean-Michel Arnaud se dit « conscient » de la « sensibilité » du sujet, mais a décidé de l’aborder « sans a prioris mais avec une nécessaire vigilance. Avec des a prioris nous aurions dit non à la soufflerie, non au projet Poly-Aéro, non à Véolia, non à la Banque populaire… Tallard, n’est pas en dehors de la République et l’État nous a beaucoup aidés dans nos dernières réalisations », rappelle Jean-Michel Arnaud.

Un État qui aide une commune, est-ce à percevoir qu'eil y aurait eu entente entre Tallard et le Préfet ? « Il n’y a eu aucune entente, et si une commune est candidate, qu’elle lève la main. Ce n’est pas moi qui décide de ce projet, c’est l’État et le préfet, de mon côté je ne peux imposer mon point de vue. En ce qui me concerne je me serai franchement bien passé de tout cela. »

La peur d'un nouvel ennemi à combattre. Pour l’élu « on ne peut fonctionner à la peur, et avec le principe de précaution on ne fait plus rien. » Le non principe de précaution appliqué à l’implantation du CER, une affirmation sous forme de réponse à la mobilisation sur internet. Pour autant le maire l’assure « sur ce sujet j’honore toust mes rendez-vous et toutes les demandes d’entretien mon bureau est ouvert. » À ce titre trois réunions ont déjà été tenues entre riverains, président d’association de riverains et mairie. Et avec l’objectif de réaliser une visite dans un CER de Lozère avec le Groupe SOS.Un entretien dans lequel l’élu aura rappelé qu’il est « dans un esprit humaniste, mais pas naïf. »

 

Quand la politique s’en mêle

Jean-Michel Arnaud homme de droite à l’image parfois dure et conservatrice, soutenu dans sa démarche par … une partie du PS. Mais attention, clivage oblige, pour le moment à visage caché. Dans cette affaire, ce sont donc des élus divers gauche qui s’opposent, non pas au principe, mais la situation géographique. Une situation incompréhensible pour l'un des représentants PS des Hautes-Alpes. « Franchement je n’aurai jamais pensé voir un homme politique comme Jean-Michel Arnaud prendre une telle position, mais je dois le félicitéer. De même je ne comprends pas les conseillers départementaux (…) cette opposition systématique et politique entre les conseillers départementaux et le maire de Tallard mène à des réflexes politico-politiciennes qui ne grandissent pas la République. »

 

Retour sur expérience avec la commune d’Aspres-sur-Buëch, « pas de mauvais souvenirs »

Françoise Pinet, maire d’Aspres-sur-Buëch et conseillère départementale du Canton de Serres, a connu jusqu’en 2014 la vie d’une commune avec un CER. Une structure qui a dû fermer ses portes à cette date,  non pas pour des problèmes de compatibilité avec la vie du village, mais pour des raisons de trésorerie liées au cout trop important pour l’association qui gérait la structure.

L’élue, alors voisine du centre, se souvient ne pas avoir vécu de gros problèmes, avec une population assez prête à laisser une place à ce projet. « Quelques soucis d’adaptation qui ont vite trouvé réponse auprès de l’encadrement. Chez nous le séjour de rupture passait beaucoup par l’isolement avec des activités menées en montagne. » Alors si c’était à refaire ? « oui, nous pourrions, mais à ce jour nous n’avons pas de bâtiments qui répondent aux normes. »

Philippe Caumartin, responsable du groupe SOS Jeunesse :