Alpes du Sud : Dublin III, la chasse aux idées reçues

SOCIÉTÉ / Le mouvement contre le Dublinage de demandeurs d’asile grandit dans les Alpes du Sud. Mais savez-vous tout sur la directive européenne Dublin III et sur son assouplissement ? Les pays "de Dublin" sont-ils plus stricts que la France pour accorder les demandes d'asile ? Chasse aux intox

 

- Alpes du Sud -

 

Ils sont six demandeurs d’asile à Barcelonnette, 11 à Sisteron, deux à Embrun et 16 à Briançon menacés d’expulsion dans un autre pays européen pour voir le dossier instruit : la mobilisation contre le Dublinage de demandeurs d’asile gagne du terrain dans les Alpes du Sud, les associations demandant à chaque fois aux préfets des deux départements de revenir sur cette directive Dublin III, et d’appliquer son assouplissement afin que l’instruction de la demande d’asile soit effectuée en France.

 

Le Dublinage, de quoi parle-t-on ?

La directive européenne « Dublin » est appliquée dans 32 pays, appelés « pays de Dublin » : il s’agit des 28 pays européens ainsi que quatre pays associés à cette directive : la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein.

 

 

Selon la directive européenne « Dublin », un seul État est responsable de l’examen d’une demande d’asile dans l’Union Européenne. Dans le système français, c’est la préfecture qui se prononce sur l’État responsable d’une demande d’asile.

La législation est très précise sur ce sujet : l’instruction est prise en charge dans le premier « pays de Dublin » traversé par le migrant et dans lequel il a été contrôlé. Par exemple, si le premier pays est l’Italie, l’instruction de sa demande d’asile se fera ici.

Il existe néanmoins des exceptions : la demande d’asile peut aussi être instruite dans un autre « pays de Dublin », celui par exemple dans lequel le demandeur a obtenu une autorisation de séjour ou un Visa, même s’il ne s’agit pas du premier pays traversé. Ou bien si un membre de sa famille est présent dans un autre « pays de Dublin ». Par exemple, si le mari, la femme ou l’enfant d’un(e) demandeur(se) d’asile a obtenu une protection internationale dans un autre « pays de Dublin », ce pays peut être responsable de l’instruction de l’asile de ce(tte) même demandeur(se). Il est également précisé que le renvoi ne sera jamais effectué dans un pays où il est établi que les droits de l’Homme du demandeur pourraient être violés.  

 

Une directive Dublin III assouplie après le démantèlement des camps de Calais

Immédiatement après le démantèlement des camps de Calais, les directives transmises aux préfets ont été très claires : faire un usage plus large de l’article 17 du règlement Dublin « qui leur permet de prendre la responsabilité de l’instruction de la demande d’asile, sous réserve d’absence de trouble à l’ordre public » mais uniquement pour les « migrants évacués de Calais », précisait l’ancien Directeur de cabinet de François Hollande, Jean-Pierre Hugues.

 

Tous les demandeurs d’asile provenant des camps de Calais verront donc leur dossier instruit en France, et pourront ainsi rester sur le territoire au moins jusqu’à une premier décision. Pendant cette période, ils pourront bénéficier de conditions d’accueil matérielles, telles que l’hébergement et la nourriture au sein de CADA (Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile) ou de CAO (Centres d’Accueil et d’Orientation), des soins médicaux de base (CMU : Couverture Maladie Universelle) ou une aide médicale d’urgence.

 

Alpes du Sud : dublinés ou pas dublinés ?

À cette question, les réponses des préfectures des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence sont très claires : « conformément aux engagements pris lors du démantèlement des camps de Calais, les dossiers de toutes les personnes en provenance de Calais ont été instruits en France ». Ils sont donc dits « dédublinés », c’est-à-dire non reconduits dans le premier « pays de Dublin » de transit pour voir leur dossier instruit.

Sont « dublinés », c’est-à-dire renvoyés dans le premier « pays de Dublin » par lequel ils ont été enregistrés, tous ceux qui ne viennent pas de Calais. Les 35 demandeurs d’asile qui seront reconduits dans un autre pays n’ont donc ni subi le démantèlement des camps de Calais, ne possèdent pas d’autorisation de séjour en France et n’ont aucun membre de leur famille ayant obtenu une protection internationale dans l’Hexagone.

La préfecture des Alpes de Haute-Provence précise que le nombre de personnes en attente d’une place en CAO « dépasse les places actuellement disponibles ». Il y a donc urgence selon l’État à « libérer les places qui sont aujourd’hui occupées par des personnes dont la demande d’asile doit être examinée par un autre pays européen. La libération de ces places permet d'accueillir d'autres personnes en attente d’hébergement ».

 
Les autres pays plus stricts que la France en matière de demande d’asile ?

C’est ce que pointent les associations de défense dans les Alpes du Sud : les conditions d’instruction et d’autorisation des demandes d’asile dans les autres « pays de Dublin » seraient plus dures. Il est déjà important de préciser que tous ces pays respectent, au même titre que la France, les conventions internationales en matière de demandeurs d’asile.

Enfin, dire que les autres pays sont plus stricts dans les conditions de délivrance de la demande d’asile est faux. En effet, selon Eurostat et ses statistiques sur les « décisions sur les demandes d’asile dans l’UE », une publication du 26 avril 2017, la France est dans les derniers quant aux décisions positives en première instance du droit d’asile.

 

Classement des décisions de première instance des « pays de Dublin »

1 et 2 : Malte et Slovaquie (83 % de réponses positives en première instance)

3 et 4 : Autriche et Pays-Bas (72% de réponses positives en première instance)

5, 6 et 7 : Allemagne (qui par ailleurs enregistre le plus grand nombre de demandes d’asile en 2016 : 631.085 contre 87.485 en France), Suède et Lituanie

8 : Danemark (68% de réponses positives en première instance)

9 et 10 : Espagne et Estonie (67% de réponses positives en première instance)

11 et 12 : Norvège et Chypre (66% de réponses positives en première instance)

13 : Slovénie (64% de réponses positives en première instance)

14 : Roumanie (62% de réponses positives en première instance)

15 : Luxembourg (61% de réponses positives en première instance)

16 : Belgique (60% de réponses positives en première instance)

17 : Suisse (58% de réponses positives en première instance)

18 : Liechtenstein (55% de réponses positives en première instance)

19 : Portugal (54% de réponses positives en première instance)

20 : Lettonie (52% de réponses positives en première instance)

21 : Bulgarie (44% de réponses positives en première instance)

22 : Italie (39% de réponses positives en première instance)

23 : Croatie (35% de réponses positives en première instance)

24 et 25 : Finlande et République Tchèque (34% de réponses positives en première instance)

26 : France (33% de réponses positives en première instance)

27 : Royaume-Uni (32% de réponses positives en première instance)

28 : Grèce (24% de réponses positives en première instance)

29 : Irlande (23% de réponses positives en première instance)

30 : Islande (18% de réponses positives en première instance)

31 : Pologne (12% de réponses positives en première instance)

32 : Hongrie (8% de réponses positives en première instance)

Quant aux décisions positives suite à un appel, la France est 15ème sur les 32 avec 16 % de reconnaissance de la demande d’asile en 2ème instance.