Alpes du Sud / Info A1: finances publiques, les zones d’ombre d’une association d’aide sociale

FINANCES / SOCIAL / Un rapport accablant vise la gestion, sur plusieurs années, de l’APPASE. Publié en juillet 2014, l’ancienne directrice de l’association d’aide sociale est mise au ban pour des indemnités versées « sans justificatif ». Les collectivités territoriales étaient-elles au courant ?

Alpes du Sud – « Conseil d’administration impuissant », « directrice générale qui n’a pas pris les décisions vitales pour faire face à une situation financière dégradée », « directeurs laissés en roue libre », « personnels désorientés »… au fil des 72 pages du rapport de HKL Consultants, rendu en juillet 2014, le constat est lourd pour l’APPASE.

L’APPASE, une association connue pour son engagement sur le terrain

L’Association Pour la Promotion des Actions Sociales et Éducatives, qui a vu le jour en 1985, a en charge, sur les Hautes-Alpes, les Alpes de Haute-Provence, mais également sur le Vaucluse, des établissements spécialisés dans le handicap mental, la précarité, l’enfance et l’adolescence en difficulté. Elle gère plusieurs structures, notamment des services d’accompagnement à la vie sociale, des centres d’hébergements comme la Cordée à Gap, ou le CHRS de Briançon, ou encore des maisons d’enfants à caractère social, telle que « Tremplin » à Digne-les-Bains.

Son financement est en majorité public, puisque ses partenaires directs sont la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations, l’Agence Régionale de Santé, le Ministère de la Justice, les Conseils Généraux des Hautes-Alpes et Alpes de Haute Provence, les villes de Digne-les-Bains, Gap et Manosque.

Le rapport : résultat d’un rappel à l’ordre du Commissaire aux Comptes

Le cabinet HKL est remonté jusqu’à 2009, pour établir son rapport. Un rapport commandité par les deux présidents de l’APPASE, Jean-Claude Negro et Pierre Lanfranchi, sur recommandations du Commissaire aux Comptes. Selon une source proche de l’association, la commande aurait également été soutenue par le Conseil Général des Alpes de Haute-Provence.

Les zones d’ombre financières de l’ancienne directrice

Le rôle de l’ancienne directrice d’association, Brigitte Boujard, est directement pointé du doigt par le rapport. Nommée le 1er janvier 2007, il y aurait en effet certaines zones d’ombre dans sa gestion, notamment financière, selon le rapport. Cette dernière, qui gérait elle-même les fiches de paie y compris la sienne, aurait touché des primes diverses « sans justificatif ».

La responsable aurait, par exemple, reçu 1.569 euros d’indemnités de congés trimestriels en décembre 2012. Alors que la convention collective 66 (Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées), dont elle dépendait, indique que ces congés doivent être pris dans le trimestre de référence, sinon ils sont perdus… et donc non rémunérés. Des indemnités d’astreinte lui ont également été versées sur cette même période, alors que deux autres directeurs étaient aussi d’astreinte, ou encore une prime de 673 euros en juillet 2013, ou des gains divers s’élevant à 1.000 euros en août 2013.

Des dérives apparentes… et sans contrôle

Le rapport met également en avant une « absence de contrôle interne propice à des dérives ». Comme précisé précédemment, la Directrice gérait elle-même les fiches de paie, mais aussi les comptes bancaires. Elle en faisait « son pré carré » souligne HKL. Elle seule détenait l’ensemble des codes permettant les virements bancaires informatisés, était en contact avec les établissements bancaires, ou gérait les virements et placements financiers.  Le tout « sans contrôle interne ou externe ». D’ « importants mouvements d’argent liquide » sont également mis en exergue par le rapport, avec « un système très peu sécurisé (…) qui consistait à faire un chèque au nom de n’importe quelle personne allant à la banque, la banque donnant à cette personne le montant indiqué sur le chèque ». Système par la suite remplacé par une procédure cadrée, avec des personnes nommément désignées par le conseil d’administration.

L'ancienne directrice annonce une cessation de paiement de comptes pourtant positifs

Lors d’un entretien avec le cabinet, la directrice avait indiqué que l’association serait en cessation de paiement six mois plus tard. Sauf que, durant la mission d’audit, les rapporteurs ont été amenés à contrôler ce dernier propos. Il a été constaté que la trésorerie, contrairement à ce qu’elle avait indiqué, était positive fin décembre 2013. « Nous nous interrogeons alors sur la position de la directrice générale et sur ses motivations à présenter une situation catastrophique », écrit le cabinet HKL. Volonté délibérée de noircir le tableau, ou méconnaissance du sujet ? La question reste en suspens.  

Une directrice visiblement peu encline à répondre aux questions de la mission, « elle a refusé de rencontrer l’intervenant et de lui transmettre la moindre information, comme elle s’y était engagée auprès des présidents ». Tout comme les deux comptables qui n’ont pas semblé coopératifs.  

Gestion du personnel : entre promotions inexpliquées et contrats de 3 lignes

Le rapport met également en avant une mauvaise gestion du personnel, certains salariés auraient reçu des primes sans « réelles justifications », des promotions « inexpliquées » auraient été délivrées. Le rapport souligne également une « carence importante dans la gestion des contrats de travail », avec des CDI non établis, comme le directeur de l’ESAT qui n’avait toujours aucun contrat, cinq mois après sa prise de fonction. Des personnes recrutées en CDD travaillaient également pendant plusieurs semaines sans contrat. Enfin, d’autres contrats « anciens sont des plus étonnants, se résumant à une lettre d’engagement de trois lignes ».

La MECS « Tremplin », le puit sans fond de l’APPASE

Le fonctionnement de la MECS Tremplin, la Maison d’Enfants à Caractère Social, est également visé. Sa mission première est d’accueillir des enfants jusqu’à 18 ans, confiés à l’ASE, Aide Sociale à l’Enfance par décision judiciaire ou administrative. Ou encore des majeurs de moins de 21 ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale.

Selon le rapport, les pertes financières de l’Appase proviennent en grande partie de la structure. Certaines missions n’étaient pas assurées par des personnes qualifiées : sur les 11 postes d’éducateurs spécialisés, seul un est occupé par une personne diplômée. « Nous nous interrogeons sur la posture de l’ancien directeur, déclarant vouloir embaucher des personnes non qualifiées pour les former lui-même ». L’ancien chef de service de l’internat aurait également bénéficié de certaines largesses : ce dernier ne réalisait pas ses 26 semaines d’astreinte, qui lui étaient toutefois rémunérées, tout comme à ses remplaçants. Conséquences : les astreintes étaient donc payées deux fois. Le dysfonctionnement irait également jusqu’au secrétariat, avec des employés « donnant des jours de congés sans vérifications » et « sans en référer à la direction ».

Et depuis ?

Selon la nouvelle direction de l’APPASE, mise en place en juillet 2014, des décisions pour redresser la situation ont été prises. Les conclusions du rapport mettait en effet en avant une trésorerie « soutenue et capable, avec l’appui des pouvoirs publics, d’accompagner un redressement », des structures qui fonctionnent de manière adaptée, « elle est une des rares associations dans le secteur médico-social à couvrir trois champs, le handicap, l’exclusion et la protection de l’enfance et l’adolescence en difficulté ».

Selon nos informations, aucune procédure judiciaire à cette heure n’a été engagée. Les collectivités territoriales restent pour le moment sans réponse sur ce sujet.