Hautes-Alpes : La SDF la plus connue de France sur les planches à Gap

Hautes-Alpes : La SDF la plus connue de France sur les planches à Gap

CULTURE / Enfant placé, enfant abusé, Elina Dumont a fugué à 14 ans. Elle a passé 20 ans sans domicile fixe à Paris. Aujourd'hui, elle se soigne par la scène et l'humour.

Hautes-Alpes - Cigarette à la main, petite robe rouge estivale, Elina Dumont a le sourire aux lèvres en ce vendredi après-midi, à quelques heures de monter sur la scène du Gap Comedy Club Le Balladin de Gap. Installée sur la terrasse ensoleillée, elle loge ici pour deux jours. Une SDF, sans domicile fixe, ou presque. Aujourd’hui, elle loge ailleurs que chez elle, mais pour le boulot. Placée par la Dass dès sa naissance, elle a eu une enfance difficile en Normandie, abusée à de nombreuses reprises par des villageois sans scrupules. Elina, rageuse, a fugué pour Paris à l’âge de 14 ans. Elle a passé près de 20 ans sous les ponts de Paris, enfin à droite et à gauche, aux rythmes des rencontres, pas toujours recommandables. Cela fait seulement deux ans, qu’elle a obtenu son premier studio HLM. Aujourd’hui, elle relève la tête sur scène, pour son spectacle autobiographique, Des quais à la scène. Une histoire racontée aussi dans un livre co-écrit par le journaliste Didier Arnaud, Longtemps, j'ai habité dehors chez Flammarion.

Dans la presse, on vous qualifie souvent comme la SDF la plus connue de France. Ça vous convient ? En fait, moi je le dis parce que j’en ai fait de l’humour, c’est à mourir de rire. C’est vrai que j’ai été très médiatisée et à partir de là, j’en rigole, je me moque de moi quand je dis que je suis la SDF la plus connue de France. Je ne pense pas que ce soit une fierté d’être la SDF la plus connue de France. J’ai été, en effet, sans domicile fixe pendant plus de 15 ans. Pour en arriver là aujourd'hui, j’en ai bavé et ma vie j’en ai fait un combat. A travers mon spectacle, c’est une façon de lutter contre l’exclusion, en changeant le regard sur la misère, sur les SDF, sur les gens en général d’ailleurs. 

Et puis aussi, je vais à la rencontre des jeunes, avec qui je travaille sur des thèmes comme le racisme, la discrimination, pour les faire réfléchir. Le fait qu’ils connaissent ma vie, ça leur donne un espoir. Ils se disent « on ne savait pas ». C’est comme les travailleurs sociaux, on a tendance à dire  « toi t’y connais rien, tu gagnes 2 000 euros par mois, qu’est-ce que tu connais de la misère ! ». Donc, c’est vrai que ça a un impact que je raconte mon vécu auprès des jeunes. Mais c’est vrai qu’à un moment donné, des jeunes sans repère, ils ont besoin de cadres et d’autorité, sinon ils ne s’en sortiront pas. Il y a des limites à ne pas dépasser. Et moi, à travers un cadre artistique, j’essaie d’amener tout ça. 

Après votre jeunesse difficile, l’écriture de ce spectacle vous l’avez vécu comment ? Un besoin, un exutoire ? En fait, mon spectacle ça a commencé comme ça : un jour, un metteur en scène a voulu mettre en scène une trentaine de SDF au théâtre national de Chaillot. Ça s’est passé en 1998 et ça a fait un tabac, dans le sens ou les gens disaient : « tu te rends compte des SDF. Il faut qu’on voit ça ». On a eu toutes les chaines de télévisions, même la Russie. Quand on est sorti de cette expérience, qui a duré un an, le but était de nous réinsérer. Il y avait la partie artistique et la partie réinsertion. Les médias, eux, au lieu de raconter comment on voulait se réinsérer, ils ont préféré raconter le tableau noir. Pour nous, le but c’était que des gens veuillent nous embaucher, mais quand vous lisez qu’un tel a fait 11 ans de prison ou autre, les employeurs reculent.

A ce moment-là j’ai dit, d’accord les gens ils n’ont toujours pas compris et alors j’ai écrit mon spectacle. J’ai mis 10 ans à l’écrire. J’ai dû me payer des cours et j’étais encore en train de me battre pour m’en sortir. Quand le spectacle est sorti, ça m’a fait le plus grand bien. Et la chance que j’ai eu, c’est le portrait dans Libération et puis Flammarion est venu vers moi. Le livre, par contre, je l’ai écrit en collaboration avec Didier Arnaud, parce que je ne voulais pas que les gens se disent que ce n’était pas bien écrit. L’écriture de mon spectacle me ressemble plus. 

Mais dans ce livre, il y a un discours vrai, sincère, qui donne une image que l’on ne connait pas de cette vie passée dans la rue. Vous racontez d’ailleurs votre première nuit à Paris, cette nuit là, c’était quoi pour vous ? Si je peux raconter tout ça, c’est aussi parce que j’ai plus de 25 ans de psychothérapie et donc on peut plus raconter son histoire, parce qu’on l’a analysée. C’est ça aussi qui m’aide. Il y a tout le travail que j’ai fait pour revenir à mon histoire.

La première nuit que j’ai vécu dehors, c’était effrayant. Il fallait que je trouve un endroit où il m’arriverait rien et je m'en rappellerais toujours. J’étais en Seine-et-Marne et chaque fois que je passais dans une rue, je tapais contre les portes. Une fois, une porte s’est ouverte et c’était un long couloir. Du coup, je suis allée au fond, mais je n’ai pas dormi de la nuit. 

Vous aviez tout juste 18 ans à cette époque ? Oui, j’ai commencé à fuguer à 14 ans et demi de ma famille d’accueil, en Normandie. Ça se passait pas très bien avec cette famille, donc j’ai commencé à fuguer. Mais, il faut savoir que la fugue c’est un pas en avant vers la rue. La plupart des adolescents qui commencent à fuguer, c’est par un appel à la rue. Ils fuguent pour échapper à leur malheur, leur malaise. 

Vous avez été placé vers l’âge de 2 ans… En fait, j’ai été placée dès la naissance par décision de justice, parce que ma mère était malade et j’étais considérée comme une enfant en danger. 

Comment vous avez construit votre socialisation ? Comment avez-vous réussi à en comprendre les codes ? Ça a mis beaucoup de temps. Déjà dès l’âge de 17 ans, je me suis retrouvée dans les mains des psychiatres. Ensuite, j’ai rencontré énormément de gens qui m’ont aidée sur ma route. Il y en a aussi beaucoup qui m’ont détraquée. Il y a aussi la psychothérapie et j’avais une volonté de m’en sortir qui était énorme. 

Quand j’ai été abusée par le village, vers mes 8 ans, j’avais une rage de vengeance. Je me disais, « je me vengerais ». Aujourd’hui, j’ai 46 ans et j’ai eu mon premier appartement en février 2011, donc vous imaginez le temps que ça met. Se réinsérer, ça met des années et ça met des années avec la volonté. Sans volonté, on est tellement découragé. C’est d’ailleurs ceux que l’on voit sur le trottoir, ils n'ont plus envie de vivre. Il y a des gens pour qui c’est fini. Ils ne se relèveront pas. Il y en a beaucoup plus qui se battent et qu’on ne voit pas, qui sont invisibles. 

Vous parlez dans votre livre d’un autre élément, qui peut paraître vraiment étonnant, c’est la pluie. Elle peut être un vrai problème, quand on vit dans la rue. Ce chapitre a eu un fort succès, alors que je voulais l’enlever. Je le trouvais trop triste. Mais, c’est vrai que la pluie c’est l’ennemi numéro 1 du SDF. Ce n’est pas la neige. Tout est trempé et quand il pleut, vous ne pouvez pas vous changer, vous ne pouvez pas vous essuyer, alors que la neige on se recouvre, on peut se chauffer. Mais la pluie, on ne peut rien faire. 

Vous dites dans votre livre, « être une femme ça peut aider ». Justement, ça vous a pas mal aidé quand vous étiez dans la rue. Oui, c’est vrai. Je pense qu’être une femme, ça fait moins peur aux gens, même pour les services sociaux. Alors pourquoi ? Je n’en sais rien, mais je pense qu’une femme ça fait fragile et du coup, il y a une empathie envers une gamine. On va plus facilement ouvrir la porte à une femme, qu’à un homme. D’ailleurs, ça explique peut-être pourquoi il y a moins de femmes que d’hommes dans la rue. Je pense que c’est une explication. 

Vous arrivez, avec ce spectacle, à faire rire les spectateurs, mais est-ce que ce n’est pas un peu paradoxal de faire rire avec une telle histoire, votre histoire ? Je sais. Quand j’ai débuté mon spectacle, chaque fois que je sortais, les gens avaient ri, mais souvent, je faisais des crises de panique. J’ai été obligée de retourner voir ma psychothérapeute et elle m’a dit que c’était normal. J’essaie de faire rire, j’utilise mon humour, mais c’est paradoxal, ma tête et mon corps se rappellent que c’était dramatique. Maintenant, c’est passé, mais j’ai été obligé de refaire un travail là-dessus. Contre l’inconscient, on ne peut pas faire grand-chose. 

Je suis sure que j’ai choisi le bon outil. Souvent les spectacles de ce genre sont traités de façon dramatique, mais moi je voulais que ce soit accessible au plus grand nombre, même aux enfants de Bobigny, qui ne sont jamais allés au théâtre. Je veux que la majorité des gens puissent se reconnaître.

On dit que vous êtes une bonne cliente. Est-ce que c'est cet optimisme qui vous a permis de vous en sortir ? Je sais qu’on dit ça. Ce n’est pas faux, mais en même temps, moi, ça me sert à faire passer un message. Moi, je ne m’en rends pas compte, je ne m’entends pas. Mais grâce aux médias, j’ai pu rencontrer des politiques, faire des colloques sur des sujets qu’eux ils ne comprennent pas. Je ne vais pas me plaindre d’être une bonne cliente, je serais hypocrite de dire ça. Mais c’est vrai que mes potes, des fois, j’aimerais bien qu’ils viennent avec moi aux interviews, mais c’est compliqué. Ils ont des choses à dire, mais il faudrait prendre du temps. Moi je me suis guérie de tout, de l'alcool, des drogues, même si intérieurement j’ai des failles. Par exemple actuellement, je suis incapable d’avoir une relation avec un homme, mais je m’en fous. Ce n’est pas primordial. 

Vous défendez votre cause aussi au cœur d’associations. Quel est votre combat aujourd’hui ? Je travaille pour une association qui s’appelle Cri d’éclat, aussi pour Asmae Sœur Emmanuelle. Je suis en partenariat avec le Secours Populaire. J’ai fait aussi pour Marseille dernièrement, avec le Secours Catholique. 

Entretien mené par Gaël PIAT